Puissance et couple
Ces deux notions, chères aux amateurs de performances, sont aussi des sources quasi-inépuisables d'interrogations, et les discussions entre passionnés s'éternisent parfois. On peut donc essayer de démystifier cette affaire et de rendre les choses un peu plus simples.
Nul besoin de partir une énième fois dans une tentative de description de ce qu'est le couple. Savoir qu'il s'agit du produit d'une force par une longueur (damned, ça y est, je l'ai dit) importe peu. Ca permet surtout de comprendre pourquoi on parvient à dévisser une roue sans transpirer pour peu que l'on dispose d'une clé dont le bras de levier est suffisamment long. A part ça ...
S'il y a une chose plus importante à retenir et à comprendre, c'est déjà que couple et puissance sont deux grandeurs intimement liées. La relation qui les unit est simple :
P = C w
où w est la vitesse de rotation du moteur. P, C et w sont ici exprimées dans les unités " officielles ", à savoir le Watt, le Newton.mètre et le radian par seconde.
Si l'on souhaite exprimer ces différentes grandeurs dans des unités plus connues (ch, m.kg et tr/mn), il convient d'aménager un peu cette relation, et on obtient alors :
P = 1.39.10-3 C w
ou encore
P(ch) = C(m.kg) w(tr/min) / 716
(NB : je précise, compte tenu du nombre de mails qui me parviennent sur le sujet, que cette relation n'est "valable" que lorsqu'on souhaite trouver l'équivalence entre une puissance en chevaux, un régime en tr/min et un couple en m.kg ; le 716 qui apparait ici n'a rien à voir avec l'équivalence entre chevaux et watts. Pour ceux qui ont des problèmes à se dépatouiller de ces histoires d'unités, ce petit topo pourra être utile).
Puisque puissance et couple sont si étroitement liés, pourquoi tend-on alors à opposer assez systématiquement les moteurs "coupleux" et les moteurs "puissants" ?
C'est principalement dû à l'influence du régime de rotation, le w de la formule. P dépend certes de C, comme on l'a vu, mais aussi de w. Les moteurs dits coupleux sont des moteurs qui ne tournent pas forcément vite, mais pour lesquels la valeur du couple compense la faiblesse de cette vitesse de rotation. Les moteurs dits puissants sont ceux pour lesquels la valeur du couple n'a rien de forcément extraordinaire, mais qui tournent vite. Les motards font ainsi la différence entre une Suzuki DR 600 et une Honda 600 CBR, et attribuent les qualificatifs de coupleux au premier et de puissant au second. Les automobilistes feront la même distinction entre le moteur d'une BMW 330 D et celui d'une Honda Integra type R.
Ce dernier exemple est d'ailleurs mieux choisi, car la puissance maxi des deux voitures est à peu près semblable (183 ch pour la première, 190 pour la deuxième). On sait pourtant que le tempérament de ces deux moteurs n'a rien à voir, et leurs propriétaires le constatent à l'utilisation, puisqu'il faut sans cesse monter dans les tours pour tirer la quintessence de la Honda, alors que l'on peut se contenter d'enrouler avec la BM.
Bon, c'est bien beau tout ça, mais pour faire péter un chrono, il vaut mieux avoir du couple ou de la puissance ?
La capacité d'accélération d'une voiture est liée à l'effort que son moteur est capable de transmettre, comme le dit le principe fondamental de la dynamique : F = m.a, où F est la force, m la masse, et a l'accélération.
Notons tout d'abord que la masse a une importance considérable : plus elle est élevée, plus l'accélération est faible pour un même effort fourni. C'est pourquoi il importe de comparer les chronos obtenus par des véhicules de poids comparable ... Mais revenons à nos moutons : l'effort que produit le moteur est transmis par l'action des roues motrices sur le sol. C'est là qu'on utilise la définition du couple (produit d'un effort par un bras de levier) :
C = F.r
où C est le couple, et le rayon r de la roue est bien la distance entre l'axe qui porte le couple et le sol. L'accélération est donc donnée par a = F/m = C / (r.m).
C'est bien gentil, me direz-vous, mais on montre ici plutôt que la capacité d'accélération est liée au couple, puisqu'on en parle dans la formule alors qu'il n'est pas fait mention de la puissance.
Certes. Mais il s'agit du couple A LA ROUE.
Or le couple est une grandeur qui varie tout au long de la chaîne de transmission, et le couple aux roues est différent du couple moteur. Il en dépend, évidemment, mais selon une relation qui fait intervenir les vitesses de rotation du moteur et des roues. Si l'on note respectivement Cm, wm, Cr et wr les couples et vitesses de rotation du moteur et des roues motrices, on a la "propriété" suivante :
Cm wm = Cr wr
Reprenons l'équation a = C / (r.m) obtenue plus haut, en prenant soin de remplacer C par Cr puisqu'on parlait alors de couple à la roue : l'expression a = Cr / (r.m) se transforme en a = Cm wm / (r.m.wr).
On peut remarquer que r.wr est égal à la vitesse circonférentielle de la roue, c'est-à-dire à la vitesse v du véhicule à condition qu'il n'y ait pas (trop) de glissement (il y en a toujours un peu, même en roulage normal, mais il faudra pour plus de détails à ce sujet se pencher sur les pages que j'ai consacrées à la dynamique du véhicule).
On a donc :
a = Cr / (r.m) = Cm wm / (m.v)
La première "écriture" nous permet de répéter que, toutes choses égales par ailleurs (rayon de la roue et masse), c'est le véhicule qui a le plus de couple à la roue qui accélère le plus fort. La deuxième écriture nous permet d'introduire la notion de puissance, puisque P est par définition égale à C.w ...
P est en effet, aux pertes près (inutile de compliquer l'affaire ...), une constante tout au long de la chaîne de transmission. On a vu plus haut que Cm wm = Cr wr, on peut maintenant rajouter : P = Cm wm = Cr wr = constante.
On a donc écrit que l'accélération vaut a = P/(mv), et on peut alors conclure : à vitesse v donnée, le véhicule qui accélère le plus est celui qui dispose du plus de puissance.
Comme la puissance varie avec le régime, il faut bien évidemment, et la boîte de vitesses est là pour ça, choisir le rapport qui permette de disposer du maximum de puissance.
Oui mais bon mais ... si, à vitesse identique, c'est la voiture qui a le plus de puissance qui accélère le plus fort, pourquoi les moteurs diesel enfument-ils (au propre comme au figuré) les moteurs essence quand on regarde les chiffres de reprise ?
Tout simplement parce que ces chronos sont obtenus en partant d'une vitesse de rotation moteur qui est en général favorable aux diesels. Prenons l'exemple de deux Laguna avec des motorisations différentes, mais de puissance maxi identique :
- 1.6 16 v : 107 ch à 5750 tr/min, 15.1 mkg à 3750 tr/min.
- 1.9 dCi : 107 ch à 4000 tr/min., 25.5 mkg à 1750 tr/min.
Les chiffres obtenus par le Moniteur Automobile (reprise à 40 km/h en 4ème, temps nécessaire pour couvrir 400 m) sont favorables à la version diesel, puisqu'elle a été chronométrée en 19"4 contre 19"6 pour la version essence, malgré un supplément de poids d'environ 80 kg. Ceci dit, le gain constaté n'a rien à voir avec celui que l'on pourrait espérer à la simple lecture des valeurs de couple maxi (pratiquement + 70% pour le dCi).
L'agrément (enfin, tout est relatif, hein ...) du moteur diesel vient seulement de ce que son régime de puissance maxi est assez proche des conditions "normales" de roulage ... De même, les motards considèrent généralement que monocylindres et bicylindres procurent plus de plaisir au quotidien car les régimes de puissance maxi sont "raisonnables", alors que la pleine exploitation d'un petit quatre cylindres hypersport nécessite de rouler à plus de 10000 tr/min, régime difficilement conciliable avec une utilisation sur route ouverte.
Conclusion
Il résulte de tout ceci qu'on oppose un peu à tort les notions de couple et de puissance. On devrait plutôt opposer les moteurs coupleux aux moteurs ... non-coupleux, tout simplement, indépendamment de la puissance maximale.
Et pour obtenir de la puissance, donc du potentiel d'accélération comme on l'a vu, il n'y a pas trente-six méthodes : soit on sort du couple, soit on tourne vite. La BM 330 D est une illustration de la première solution, l'Integra de la seconde solution.
Nous venons de conclure en affirmant qu'il valait mieux, pour disposer des meilleures accélérations à une vitesse donnée, se placer au régime permettant de disposer du maximum de puissance. Les fervents partisans du couple ont normalement dû abdiquer à ce stade ... Mais les ardents défenseurs de la puissance ont-ils pour autant remporté une victoire indiscutable ?
Pas tout à fait, en fait.
Pourquoi ? Pour la bonne et presque simple raison que c'est bien la puissance qui fait l'accélération, mais la puissance "disponible". Or une partie non négligeable de la puissance fournie par le moteur est perdue, c'est-à-dire utilisée pour une autre tâche que l'accélération du véhicule. Parmi ces facteurs de pertes, on peut identifier :
- les frottements "internes" au véhicule (moteur, transmission, etc ...)
- les efforts de roulement
- les efforts aérodynamiques
- l'effet de la déclivité de la route
Limitons-nous dans un premier temps aux seuls efforts aérodynamiques. vous aurez noté que la résistance varie avec le carré de la vitesse. La puissance consommée, qui est définie comme le produit de la force par la vitesse, varie donc comme le cube de cette dernière. Ainsi, si l'on trace ensemble la puissance fournie par le moteur et la puissance perdue du fait de la traînée aérodynamique, On constate que le maximum de puissance disponible se situe à un régime distinct de celui de puissance moteur maxi. C'est à ce régime qu'il faudra se trouver pour obtenir la plus grande accélération instantanée. Comment déterminer ce régime ? En laissant tomber les théories trop simples, malheureusement, et en allant faire des mesures directes sur le terrain :-)
Le régime optimal dépend en effet du rapport engagé (puisque les efforts aéro sont nettement plus importants à haute vitesse, donc sur les rapports élevés, qu'à basse vitesse), et de tous les autres facteurs mentionnés ci-dessus, facteurs qui conditionnent les "pertes". On peut cependant dégager une règle simple : tout ce qui va dans le sens d'une réduction des pertes tendra à décaler le régime optimal vers la zone rouge. Ainsi, si vous montez des pneus plus étroits ou faites des chronos en descente, il faudra aller taquiner davantage les hauts régimes ....